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Contestations Rifaines

Sur le rififi dans le Rif. Cette région septentrionale du Maroc est à la Une de l’actualité depuis plusieurs mois, parce que secouée par une vague de contestations sociales. Les Décryptages reviennent pour vous sur une des plus importantes contestations que ce pays ait connu depuis la vague du Printemps arabe.

Étincelle

Tout commence le vendredi 28 octobre dernier. Un homme se retrouve broyé par une benne à ordure. Des photos sont postées sur les réseaux sociaux. Facebook et Twitter s’enflamment, le pays est en état de choc.  Il s’appelait Mouhcine Fikri. 31 ans, sixième d’une fratrie de dix. Comme beaucoup dans le Rif, il subsistait grâce à ses revenus de Marin-Pêcheur. Les circonstances de sa mort ont laconiquement été exposées par le ministère de l’Intérieur marocain.  C’est “une quantité importante d’espadon, une espèce interdite à la pêche” en sa possession qui serait à l’origine du drame. Les policiers auraient choisi de “détruire la marchandise illégale” ; lui aurait décidé de les en empêcher au péril de sa vie.

S’en suivent des appels à la manifestation sur Internet. Les rues d’Al Hoceïma, ville rifaine de 35 000 habitants, résonnent rapidement aux cris de « Nous sommes Mouhcine » ou encore « Écoute Makhzen [désigne l’appareil étatique marocain], on n’humilie pas le peuple du Rif ».

Ce début de contestation est loin d’être pris à la légère par le pouvoir marocain. C’est avec diligence que Mohamed VI, actuel roi du Maroc, présente « [ses] condoléances et [sa] compassion (…) à la famille du défunt“.” une enquête minutieuse et approfondie [est, par ailleurs] diligentée […]”. En avril dernier, trois fonctionnaires sont arrêtés, jugés et condamnés à des peines mêlant amendes et prison ferme.

Effet Papillon

Il faut dire que le Makhzen, comme tout autre appareil d’État arabe, peut avoir en tête l’épisode Mohammed Bouazizi, vendeur ambulant tunisien, mort en 2011, après s’être immolé par le feu à Sidi Bouzid. Ce geste désespéré résonna comme un cri de protestation, bien au-delà des frontières tunisiennes, contre la précarité et les brimades policières quotidiennes. Quatre semaines plus tard, une série de contestations dans tout le pays avaient eu raison de 23 années de régime de Zine el-Abidine Ben Ali. C’est l’an 1, de ce que l’on a appelé, avec lyrisme, « les printemps arabes ».

Cependant, pour bon nombre de régimes arabes, le printemps arabe fut un hiver de ce qu’il a de plus froid et inhospitalier. Les suicides comme celui de Bouazizi rimaient avec la peur d’une situation qui dérape, de militaires qui se rebellent. Ainsi, les contestations de la petite province de Sidi Bouzid en Tunisie ont fini par se répandre comme une traînée de poudre jusque dans les états voisins, provoquant la chute de raïs (Hommes forts qui dirigent d’une main de fer leurs États, à l’instar de Moubarak en Égypte et Kadhafi en Libye) ainsi que le début d’une guerre civile en Syrie.

Le Rif insoumis

La contestation du pouvoir central reste une constante dans le Rif. Au début du XXème siècle, dans un Maroc en proie aux puissances coloniales, Abdelkrim Al-Khattabi, éminente figure rifaine, fut à la tête d’une rébellion contre le colonisateur espagnol. Cette figure reste, depuis toujours et pour longtemps, un symbole de fierté dans cette région. En 1921, il fut à la tête d’une coalition de tribus rifaines victorieuse, écrasant une armée espagnole forte de ses 60 000 hommes. Al-Khattabi fut également, le président fondateur d’une république éphémère : la République confédérée des Tribus du Rif (1921-1927), dont la fin fut actée par l’exil de son chef charismatique à la Réunion.

En 1958, bis repetita. Sous protectorat Français, Moulay Hassan, fils de Mohamed V et futur Hassan II, alors chef d’état-major des forces armées, réprime un soulèvement qui a pour revendication la fin de la marginalisation de la région et le retour d’Al-Khattabi. Bilan : 3000 morts, Al-Khattabi reste exilé et meurt au Caire en 1963.

De ce fait, une certaine méfiance s’est installée entre Hassan II et l’ensemble de la région. Après deux tentatives de coup d’État contre sa personne et la monarchie tout entière, aucun répit n’est accordé pour les ennemis du roi. Pas de cadeau pour les insurrections rifaines. S’en suit le début d’une période de marginalisation contre la région, qui subsiste encore en partie, pouvant expliquer les contestations actuelles.

L’économie rifaine s’adapte tant bien que mal à cette longue mise à l’écart : les revenus des Rifains résidant à l’étranger, la culture et la commercialisation du cannabis ou encore la contrebande existante avec les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla sont les principales sources de revenus de la région.

2011, date de début du printemps arabe. Quelques mois après la destitution de Ben Ali en Tunisie, un mouvement très populaire dans le Rif prend de l’ampleur à l’échelle nationale : c’est le mouvement du 20 Février. Leurs revendications sont simples, plus de démocratie, moins de corruption et d’injustice. Bilan : une réforme de la constitution est entamée, les leaders sont arrêtés, le mouvement étouffé.

Nouvelles figures.

Les communiqués du pouvoir central n’ont pas suffi à calmer les protestations qui ont suivi la mort de Mouhcine Fikri. Ces dernières prennent même de l’ampleur. Des cahiers de doléances sont rédigés et lus en place publique. Les protestations contre la mort de Mouhcine Fikri nageaient au milieu de demandes de construction d’infrastructures, mais aussi de modernisation, dans une région qui put hériter de bon nombre d’installations coloniales.

Comme il est d’usage de trouver un nom à un mouvement important, cette situation ne connaît pas d’exception. On parle de « Hirak », “mouvement” en arabe.

La paralysie politique provoquée par l’absence de gouvernement pendant une durée de 6 mois n’a pas arrangé les choses. Aucun relais politique pendant cette période. Du côté du Palais, c’est silence radio : tout le monde attend un discours royal sur ces évènements. Il ne viendra pas.

Les leaders du mouvement s’impatientent. L’un deux, Nasser Zefzafi, commence à se construire une certaine notoriété.

En mai dernier, lors d’un prêche du vendredi, dans une mosquée d’Al Hoceima, un imam accuse de fitna [discorde entre les musulmans], les partisans du Hirak, incrimination à lourde portée en Islam. Zefzafi se leva, interrompit le prêche, et s’est lancé dans un monologue, traitant l’imam d’«imam du Palais», se substituant volontiers à ce dernier, dans sa fonction, pour exposer ses revendications. Il ne souhaite pas entendre le prêche fourni par le ministère des affaires islamiques et récité dans toutes les mosquées du pays.

L’interruption d’un prêche au Maroc est un délit. Les autorités ont donc sautées sur l’occasion afin de condamner le leader hirakiste. S’en suivent des jours de cavales qui s’achèveront par l’arrestation de Nasser Zefzafi.

Marcher sur les œufs

Le Palais, comme la rue rifaine, connaît les conséquences d’une intervention violente venant d’une des deux parties. Si le mouvement hirakiste venait à se radicaliser, il perdrait un soutien de taille : celui d’une frange importante de la population marocaine. Si, au contraire, le gouvernement est responsable d’une bavure policière, beaucoup craignent la répétition du cas Bouazizi. Les manifestations perdurent mais ne s’étendent pas, pour l’instant, à l’ensemble du pays.

Le terme « Rif / ⴰⵔⵔⵉⴼ» signifie en berbère « Bord, rivage ». Au-delà de son acception géographique, on peut se demander comment cette situation prendra fin. Le Rif est-il au bord de l’implosion, ou d’une renaissance ?